En ce début d’année 2018, nous souhaitons mettre en lumière des dysfonctionnements relevés dans les actions menées par les ministères pour le handicap. C’est dans ce but que nous en appelons au Premier Ministre Édouard Philippe et la Secrétaire d’État aux personnes handicapées Sophie Cluzel, par cette lettre ouverte dans laquelle nous proposons plusieurs pistes de solutions.
Transcription :
Monsieur le premier Ministre,
Madame la secrétaire d’EtatIl ne vous a pas échappé qu’un élément très souhaité par l’ensemble des personnes handicapées portait sur le fait que la gestion politique et administrative du handicap ne devait plus être mise à l’écart de l’ensemble des dispositifs de l’État.
C’est pourquoi, Monsieur le Premier ministre, vous avez fait le choix de nommer Madame Sophie Cluzel secrétaire d’État aux personnes handicapées en la plaçant directement sous votre autorité afin de favoriser pour chaque ministère une même nécessité à prendre en compte le handicap, la marginalité, la précarité, dans l’ensemble de ses propres décisions, en élargissant le droit commun, ce qui constitue aujourd’hui le moyen indispensable d’œuvrer à une authentique égalité des chances pour tous.
Il s’agit là d’un progrès attendu par tous les citoyens. Je crois que cela simplifiera considérablement les actions et évolutions de chaque activité des ministères au profit des personnes handicapées, dans la mesure où elles pourraient ainsi devenir des acteurs demandeurs au plus près du concret de l’action et mieux répondre ainsi aux professionnels, aux personnes handicapées, et à leur entourage.
La position de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, placée directement sous votre égide devrait ainsi conduire à mon sens, à organiser à présent, dans chaque ministère, une sorte de comité handicap, dans lequel toutes les composantes concernées – personnes handicapées, enseignants, administrations, ministère – pourraient définir les priorités d’action et leurs modalités de mise en place dans une bonne concertation des idées et des moyens, en renforçant notamment l’ensemble des actons de formation à prévoir.
Agir seul dans les ministères sans une concertation avec les personnes handicapées risque d’être long, difficile, mais surtout moins concret et moins efficace par rapport aux attentes de tous.
De ce point de vue, le CIH ne peut constituer, à lui seul, qu’une partie du progrès à accomplir. Il l’est, certes dans la mesure où il peut informer mutuellement les différents ministères des actions conduites par chacun, au profit des personnes handicapées.
Néanmoins, le CIH n’est pas aujourd’hui devenu un moteur de l’action interne à chaque ministère pour l’action en faveur du handicap. Il coordonne la définition politique mais il est encore loin de pouvoir rentrer dans le détail et dans le concret des réformes à entreprendre avec toutes les équipes chargées de mettre en place, au quotidien, un meilleur monde de l’accueil et de l’accompagnement.
Aujourd’hui force est de reconnaître que malgré l’ensemble des actions menées par vous-même et par Madame la secrétaire d’Etat, Sophie Cluzel, le handicap n’est pas encore installé comme une préoccupation centrale de l’action des ministères.
On assiste dès lors à une sorte de regrettable décrochage des intentions générales formulées au plus haut niveau de l’Etat, avec les modalités de leur mise en œuvre, au niveau de chaque ministère, pris isolément.
Ce constat risque de générer dans l’opinion des personnes en situation de handicap des déceptions et des frustrations, d’autant plus grandes que les espérances auront été fortes.
Nombre d’associations représentatives des personnes en situation de handicap ont ainsi l’impression que, par une inertie des segmentations ministérielles, par une absence d’écoute recherchée aussi en leur sein de la parole des personnes mêmes en situation de handicap, on en est en fait revenu à une sorte de « direction centrale du handicap » qui ne correspond guère à l’implication authentique de chaque ministère, que vous souhaitez, dans le handicap.
A titre d’illustration, et très concrètement, il n’est pas rare – et c’est un euphémisme – de constater que plusieurs importants ministères, lorsqu’ils sont invités, par exemple, dans des réunions importantes ou dans des colloques majeurs, portant sur la société inclusive, brillent par leur absence, souvent au surplus non excusé, ce qui disqualifie évidemment gravement la parole publique, si fortement portée par le Président de la république, par vous-même et par la secrétaire d’Etat.
On a même vu ainsi récemment d’importants colloques bénéficier de l’apport de plusieurs ministères étrangers, et notamment européens, mais où, de façon étonnante, aucun représentant ministériel français, pourtant expressément invité, ne s’était déplacé, ni a fortiori excusé…
Tout semble donc hélas se passer comme si, une fois entendu le rôle de coordination interministérielle attribué à la secrétaire d’Etat, ces ministères estimaient pouvoir s’affranchir à présent de toute obligation, et même de toute communication à cet égard.
Dans le même esprit, de vieilles habitudes perdurent, qui prolongent les segmentations anciennes, où lorsque les personnes en situation de handicap interpellent tel ou tel ministère, on leur dit de s’adresser directement au secrétariat de madame Cluzel, parce que, pour eux, ces questions ne sont pas leur affaire.
Certes, nous savons tous que c’est un changement de paradigme difficile à mettre en place. Mais, il importe pourtant à mes yeux, de le réussir, si, une fois encore, on ne veut pas voir les orientations annoncées insuffisamment suives d’effets concrets.
Ce que je vous décris à travers ces lignes est malheureusement plus particulièrement à l’œuvre dans les ministères qui devraient être les plus impliqués, comme celui de la santé, celui de l’éducation nationale, ou encore celui des transports, du logement et du travail. C’est pourquoi, à mon sens, il conviendrait absolument que tous les ministères, aujourd’hui, sous votre autorité, ouvrent, pas seulement en mots mais en actes, toutes les portes en leur sein des écoles de l’autonomie pour tous.
Je suis convaincu, au regard de ce que j’ai vécu dans beaucoup de pays anglo-saxons, que ce que nous proposons, constituerait une simplification considérable du travail des ministères, et que cela aboutirait à une symbiose nettement meilleure que l’actuelle entre eux et les directives et la politique du gouvernement.
L’aide énorme que peut apporter la personne handicapée, acteur de sa vie et de son destin, dans la mise en place de vos décisions sur le terrain serait la plus belle opportunité de succès de votre politique, Monsieur le Premier ministre.
Toutes et tous les citoyens mais aussi toutes les associations professionnelles, comme les services publics, nous avons besoin, les uns des autres, pour partager également dans les bassins de vie, la « vraie vie » souhaitée par tous, qui implique la participation de tous, sans mise à l’écart de personne.
De notre côté, nous tenons à vous redire toute notre confiance et aussi que vous pouvez compter sur nous, associations professionnelles, et services publics, pour vous aider à aller le plus près possible du concret, et ainsi, de faire vivre pleinement l’autonomie et le plaisir de vivre ensemble, selon des modalités qui si elles étaient effectivement mises en œuvre devraient aussi s’accompagner de nombre de réductions de coût.
Monsieur le Premier ministre, madame la secrétaire d’État, je me tiens bien évidemment, dans le fil de ces propos, à votre disposition, pour vous rencontrer, et vous faire part de recommandations ou de propositions d’action, ministère par ministère par ministère.
Nous comprenons parfaitement que votre temps est très précieux. Aussi est-ce pourquoi préparons-nous actuellement une proposition de plan d’action de terrain et d’expérimentation, qui pourront dès maintenant à la fois être mis en place avec les collectivités territoriales et évalués avec les personnes elles-mêmes.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, en mon profond respect et à toute ma reconnaissance.
Je vous prie aussi de croire, Madame la secrétaire d’État aux personnes handicapées, que vous pouvez compter sur nous pour vous aider à lever les obstacles, les inerties, et les blocages qui freinent les orientations que vous avez définies et que nous voulons effectivement voir aboutir avec vous.
Pascal Jacob
Président de Handidactique
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